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« Super Mario » aux commandes du « bel paese »

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Bastien COLET
REGARD FINANCIER SUR LE MONDE
7 min
15/02/2021
« Super Mario » aux commandes du « bel paese »

Tandis que les contempteurs du professore Draghi dénoncent une “tambouille” politicienne et une énième “lottizzazione”*, ses partisans soutiennent le “meilleur compromis possible”. Il est néanmoins certain que ce nouveau gouvernement devrait jouer un rôle essentiel dans la politique économique et l’équilibre des forces politiques au sein de l’Union.

Après la chute du gouvernement de Giuseppe Conte, les médias hexagonaux se désolaient de cette Italie décidément bancale qui, en pleine pandémie doublée d’une récession économique historique, s’accorderait le luxe d’une chamaillerie politique. On mesure encore les travers de cette perspective culturaliste qui voit dans le Transalpin, ce voisin « hâbleur, fanfaron et obséquieux.1» L’Italie serait comme « prisonnière de ses démons ancestraux qui la renverraient à des caractéristiques aussi archaïques qu’intangibles : propension chronique à la guerre civile depuis la Rome antique, rivalités permanentes, esprit de clocher, individualisme obstiné, défiance envers l’Etat, faible sentiment national, incivisme généralisé, esprit de roublardise.2 » On ne peut s’empêcher d’aimer l’Italie sans la rabaisser3… et pour finalement n’y comprendre rien.

La réalité est plus complexe qu’une intrigue de palais façon Borgia. Matteo Renzi a retiré la participation de sa formation politique de centre-gauche, Italia Viva, à la coalition gouvernementale4. À l’issue d’un vote de confiance à la Chambre, Conte n’obtient qu’une fragile majorité relative. Face à l’impossibilité de pouvoir reformer un gouvernement composé des mêmes forces politiques, et malgré les clins d’œil appuyés de Conte à la droite modérée, le président Sergio Matarella a fait appel à Mario Draghi, ancien président de la BCE, pour former un « gouvernement technique. »

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Pourquoi Renzi a-t-il fait voler en éclat l’équilibre existant ? Parce qu’il a jugé incompatibles les objectifs de son parti réformiste avec les ambitions du Mouvement 5 étoiles (parti initiateur de la coalition gouvernementale), du point de vue :

● De la relance économique, et de la stratégie liée à l’emploi, aux infrastructures et à l’école

● (Et surtout) des affaires européennes avec le Recovery plan car au fond, pourquoi Matarella a-t-il fait appel à Draghi ?

Pour une poignée de dollars : le plan de relance européen au cœur de la dispute

La Commission a présenté NextGenerationEU, instrument temporaire destiné à réparer les dommages économiques et sociaux immédiats causés par la pandémie, en favorisant une économie résiliente basée sur l’innovation et le développement durable. Sur les 750 milliards d’euros programmés par ce plan, l’Italie devrait en toucher 209. Principale bénéficiaire de la stratégie de relance, il est surtout question pour l’Italie de retrouver confiance dans une Union dont l’égoïsme, au début de la crise sanitaire, a été décrié par l’ensemble du champ politique transalpin.

Au cœur du débat sur la dépense de ce Recovery plan, Giuseppe Conte a proposé d’en confier la gestion à une structure de 300 techniciens dirigée par six managers issus du privé et répondant directement à la présidence du conseil. Matteo Renzi a immédiatement réagi en dénonçant une « usine à gaz qui humilie le Parlement et relève d’une dérive autoritaire ». L’Italie est une nation où la question de l’autorité de l’Etat a polarisé le débat politique de l’après-guerre à l’instar de l’opposition fascisme/antifascisme, communisme/anticommunisme, catholicisme/laïcité. Aussi, depuis un an, les structures administratives du pays témoignent d’hésitations et de lourdeurs mises en lumière et unanimement décriées au sein de l’opinion.

Mais le contexte français est-il différent ? Le « carnaval » italien que d’aucuns se plaisent à dénigrer est-il si éloigné de notre réalité ? Ne connaissons-nous pas en France les mêmes atermoiements structurels de l’Etat ? La sempiternelle confrontation public/privé ne soulève-t-elle pas les mêmes tensions à l’heure de la polémique sur la mission attribuée au cabinet de conseil McKinsey5 ?

La crise politique ouverte en Italie et l’avènement de Mario Draghi cristallisent au contraire des problématiques qui traversent les sociétés d’Europe occidentale : l’Italie est bien ce laboratoire politique6 qui en dit long sur nous-mêmes.

La providence d’une solution Draghi ?

Pour l’Europe, l’Italie est un sismographe, non seulement de la crise sanitaire, mais aussi d’interrogations plus profondes et diffuses : nos sociétés sont à la croisée des chemins.

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Si Matteo Renzi a soutenu le recours à Draghi, c’est parce que l’ancien patron de la BCE âgé de 73 ans, auréolé de sa réputation de « sauveur » de l’euro en 2011, serait le plus à même d’allouer de manière optimale les ressources européennes. Point de calcul personnel d’après le sénateur Renzi, qui pour sa défense, pointe la diminution du poids de sa formation dans le nouvel équilibre gouvernemental. « C’est une occasion extraordinaire, non seulement pour utiliser l’argent du Recovery Plan », mais aussi « parce que Draghi sera en mesure d’asseoir le leadership européen de l’Italie. Le mandat de Mme Merkel expire en septembre, de M. Macron en avril 2022. Cette législature prendra fin en mars 2023. Durant cette période, la figure la plus forte et la plus stable en Europe sera le président du Conseil italien »7.

L’Italie est une habituée des gouvernements dits “techniques” qui font irruption dans les contextes d’impasse politique. Le gouvernement de Mario Monti formé en 2011 avait été celui d’une cure d’austérité drastique. Rien ne porte à croire que celui de Mario Draghi aura la même saveur.

Il a déjà réussi à fédérer autour de lui l’ensemble des partis politiques à l’exception du néo-fasciste Fratelli d’Italia. Même Matteo Salvini, président tempétueux et souverainiste d’un mouvement dont la critique de l’euro, de l’UE et des politiques migratoires communautaires, était devenue la marque de fabrique, affiche son ralliement à la solution Draghi.

L’optimisme des marchés pour un gouvernement “d’union nationale”

À très court terme, les marchés ont salué l’arrivée de l’homme du “whatever it takes.

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L’écart de rendement entre le Bund allemand à 10 ans et le BTP italien de même échéance, a passé le seuil psychologique des 100 points de base, pour se réduire vendredi 11 février à 90.2. À la Bourse de Milan, le cours des établissements bancaires Banca Mediolanum, UniCredit, Intesa Sanpaolo ou Banco BPM, a enregistré une hausse significative depuis le 29 janvier. Certains observateurs chiffrent à 30% le potentiel de hausse globale du secteur en Bourse, et signalent le retour des investisseurs étrangers. Les banques italiennes, traditionnellement fragilisées par leur exposition aux obligations souveraines, ressortent consolidées. Entre mars et septembre, les prêts aux entreprises ont augmenté d’environ 58 milliards d’euros grâce à un vaste programme de garanties de l’État et le stock de prêts non performants continue de diminuer.8

Mario Draghi semble avoir voulu éviter l’image d’un cabinet de sexagénaires encravatés surdiplômés. Certes, il a accordé huit portefeuilles à des technocrates (dont Daniele Franco à l’Économie, un fidèle, numéro deux de la Banque d’Italie, réputé expert des finances publiques de la Péninsule), mais dans le cadre d’un exécutif à 23 ministres. Il donne aussi les gages d’un gouvernement doté d’une réelle consistance, comme en témoigne la création d’un super-ministère de la Transition écologique (vœu réalisé du M5S). Il s’agit surtout de préserver des équilibres politiques existants : sept ministres du précédent gouvernement Conte ont été confirmés dans leurs fonctions.

Pour l’heure, le recours à Mario Draghi et la stratégie que le nouveau président du conseil italien compte mettre en place pour juguler la crise sanitaire, amortir le choc d’une récession à 9% du PIB et déployer les 209 milliards du Recovery plan, doivent attirer l’attention des responsables publics et des acteurs économiques européens.

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* Phénomène bien connu en Italie qui traduit un système de répartition des postes dans l’administration et les grandes entreprises publiques et privées.

  1. Pierre Milza, « Voyage en Ritalie », Paris, Plon, 1993, chap 4 « Du rejet à la transparence », pp 128–129.
  2. Marc Lazar (dir.), « L’Italie contemporaine de 1945 à nos jours », Paris, Fayard, 2009, 481p.
  3. Yves Hersant, cité par Marc Lazar, « L’Italie c’est comme ça ! », Libération,19 avril 1996.
  4. C’est la démission des ministres Italia Viva, Teresa Bellanova, Elena Bonetti et Ivan Scalfarotto, qui a déclenché cette crise politique.
  5. Raphaëlle Besse Desmoulières, « Vaccination contre le Covid-19 : le gouvernement a fait appel à quatre cabinets de conseil », Le Monde, 07/01/2021
  6. « L’Italie contemporaine, de 1945 à nos jours », sous la direction Marc Lazar, Fayard, 533 p.
  7. Renzi: “Con Draghi siamo tutti più tranquilli”, Interviste, MatteoRenzi.it
  8. L’éloignement du risque politique en Italie dope les banques et réduit le spread Bund/BTP”, Les Echos Investir, 03/02/2021

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