Le temps de la campagne des élections présidentielles touche à sa fin. On peut dire sans prendre trop de risque, que peu de salive aura été dépensée sur les sujets d’épargne. Ceux-ci occupent pourtant une position nodale dans la mise en œuvre des différents horizons socio-économiques que chaque candidat souhaite donner à la France. On se consolera en reconnaissant que l’épargne n’aura pas été le seul grand enjeu méconnu de ce rendez-vous démocratique.
A l’occasion d’une rencontre organisée par l’AFER (association française d’épargne et de retraite) le lundi 14 mars dernier, les porte-paroles des principaux candidats se sont succédé pour présenter leurs grandes lignes programmatiques en matière d’épargne.
L’épargne en charentaises made in France
Logiquement, une place de choix fut consacrée à l’assurance-vie, solution d’épargne préférée des Français. Fin 2021, plus de 1.850 milliards d’euros sont placés en France sur les contrats d’assurance-vie. Les cotisations se sont élevées l’année dernière à 151.1 milliards d’euros, niveau record. La collecte nette se hisse à +23.7 milliards d’euros, seuil inédit depuis 2010.
Logiquement, la part belle fut donnée au sujet lancinant des successions. L’intervention du ministre de l’Economie et des Finances au tout début de ces assises, laissait pourtant croire en un traitement global et stratégique de l’épargne. Celui-ci se prévalait d’avoir « mobilisé depuis le début du quinquennat, l’épargne des Français », et d’en avoir fait « une priorité absolue » pour rediriger ces ressources vers « l’économie réelle », à la fois leviers pour les entreprises et la sécurité des ménages. De même, une présentation des défis du private-equity par Candice Brenet de la société d’investissement Ardian, laissait présager de débats enthousiasmants sur les moyens de relier efficacement l’épargne des Français aux acteurs économiques innovants et durables (même s’il est bien dommage que le private equity ait constitué finalement le seul spectre permettant d’approcher l’investissement responsable).
On a vite déchanté lorsque vinrent les longs échanges entre le président de l’AFER Gerard Bekerman, le président de la Commission des Finances Eric Woerth, et le premier sous-gouverneur de la Banque de France Denis Beau, sur les fonds euros. Pourquoi leur rendement s’effondre ? Pourquoi des taux négatifs ? Comment faire pour redonner de la couleur à ces fonds qui ont fait les belles heures de l’assurance-vie… façon papa ? Ressusciter le général de Gaulle ? Ablater l’Asie ? Relancer la carrière de Dave ?
« -Que penser des assureurs qui ne jurent que par les UC (unités de compte) ?, interroge le journaliste Yves Thréard.
-C’est qu’ils ne savent pas assurer. Il faut changer de métier », répond tranquillement M. Bekerman.
Merci pour cette belle leçon Commendatore ! Un fleuron d’avant-gardisme et d’audace. D’un côté le système de collecte des géants institutionnels, bienveillants et altruistes, misant sur des fonds euros (moribonds), qui ont fait croire pendant trop longtemps en l’équation intuitivement fausse : assurance vie = performance + sécurité. De l’autre, de jeunes acteurs opportunistes méconnaissant leurs obligations. Il fallait oser ! Défendre les intérêts de l’épargnant ? Chiche ! Penchez-vous sur le modèle des offres collaboratives nouvelle-génération, sur les performances des Fintechs (comme ActiveSeed) et sur la transparence de leur structure de coûts.
“Le passé, le présent et l'avenir", avec Louis-Philippe, en 1834, par Daumier. Ce n'est pas toujours avec les vieux pots qu'on fait les meilleures confitures.
Un débat sur l’épargne trusté par la fiscalité
Pendant 35 minutes (sur une soirée de 2h15), en rang d’oignons, les porte-parole des candidats ont énoncé leur projet en matière d’épargne… largement cantonné en réalité au sujet fiscal.
Par rapport aux transmissions, le député Laurent Saint-Martin, représentant du candidat Macron, prône une baisse des impôts et une non-augmentation des droits de succession. Il soutient un allégement de la fiscalité pesant sur les « transmissions populaires ou moyennes » sans « chamboulement global ».
Pour l’ancien assureur Xavier Bertrand, représentant de Mme Pécresse, il s’agira de supprimer les droits de succession pour 95% des Français. Pour les successions : 200.000 euros d’abattement en ligne directe, 100.000 en ligne indirecte. Pour les donations : passer de 15 ans à 6 ans, avec 100.000 euros pour les parents/grands-parents, et 50.000 pour les autres.
Les deux premiers orateurs ont été rejoints par le porte-parole de Mme Le Pen, qui avance un allégement des petites et moyennes successions avec franchise immobilière de 300.000 euros au bénéfice des résidences principales ou uniques. La candidate du Rassemblement national entend accélérer les donations entre générations. Les transmissions d’entreprises seront exonérées de droits, si la famille conserve le contrôle de l’entreprise pendant au moins dix ans.
Peu de différences avec l’exposé du camp de M. Zemmour, qui plaide pour un maintien de la situation fiscale actuelle. Pas de fiscalisation de la succession de l’assurance vie. Suppression de la loi Sapin II sur l’interdiction provisoire par le gouvernement des retraits en cas de crise. Exonération de 200.000 euros tous les dix ans, sur les transmissions, pour chaque parent et chaque enfant. Franchise de 200.000 euros par enfant au moment de la succession. Exonération totale de la fiscalité sur les entreprises intra familiale.
Les prises de parole de la France Insoumise et des Verts ont en cela détonné. On pourra d’ailleurs admettre une certaine pugnacité de la part de ces intervenants. D’accord ou non avec leur vision, leurs propos ont permis de dézoomer l’enjeu de l’épargne et de sortir de la course à l’échalotte fiscale. En effet, plutôt que de savoir « qui promet le cadre fiscal le plus léger ? », leurs interventions ont ménagé une place à la question : « à quoi doit servir l’épargne des Français ? »
La France Insoumise et les Verts, malmenés par la salle, ont tenu à rappeler la concentration accentuée des richesses : 10% des ménages les plus fortunés détiennent 160 fois plus de revenus placés en assurance vie que les 10% les plus pauvres. A l’intérieur de ces ménages détenteurs, 1% concentre un quart de revenus totaux. Les deux intervenants disent refuser l’idée d’une « société d’héritiers », signalant la faiblesse de la mobilité sociale. Philippe Duval, économiste conseiller de Yannick Jadot, se risque : « Ce n’est pas parce qu’on est un bon héritier qu’on est un bon manager et un bon entrepreneur. » Au total, tous deux revendiquent une réforme en profondeur du cadre fiscal de l’assurance-vie.
Pour LFI : Fin des exonérations fiscales sur l’assurance-vie investis à l’étranger. Donations : exonération totale en dessous de 120.000 euros, décompte tout au long de la vie de l’ensemble des donations et des successions versées entre les individues, plafonnement à 12 millions d’euros avec un taux marginal d’imposition à 100% au-delà de cette somme. L’objectif de ce choc fiscal : dégager 17 milliards d’euros pour investir dans la rénovation des cités universitaires, et verser une garantie d’autonomie à l’ensemble des étudiants.
Pour les Verts : Exonération à hauteur de 200.000 euros pour touts les Français, mais suppression de toutes les autres. Ces mesures devraient permettre de dégager 6 à 8 milliards d’euros, qui seront dédiés au financement de la dépendance. Pour M. Duval, la taxation des successions est une affaire de dynamisme économique.
A quoi doit servir l’épargne dans nos sociétés ?
La question de l’intégration de l’assurance-vie à l’héritage fournit l’ultime occasion d’approcher ce qui peut apparaître comme le cœur d’un débat qui n’aura pas lieu : à quoi sert l’épargne des Français ?
M. Saint-Martin s’attire les félicitations du président de l’AFER, M. Bekerman : pas touche à l’assurance-vie. Même position pour les représentants de Mme Le Pen, de M. Zemmour et de Mme Pécresse, Xavier Bertrand avançant « qu’on ne casse pas ce qui marche. »
Ce sont une nouvelle fois LFI et les Verts, qui apportent le sujet sur la table : quel doit être l’objectif politique de l’épargne ? Les deux soutiennent une épargne longue. Le porte-parole LFI parle de « droit » à l’épargne et en profite pour dérouler les propositions du candidat Mélenchon : augmentation du SMIC, baisse des dépenses contraintes, etc. Il veut un audit indépendant sur l’utilisation par les acteurs de la banque-assurance de l’épargne existante 1. Première étape pour amorcer selon lui, une véritable politique de décarbonation, et avancer vers un pôle public bancaire déterminé à engager la bifurcation écologique.
Philippe Duval se lance dans une critique du prélèvement forfaitaire unique (PFU ou flat tax) qui aurait écrasé les différences en matière d’usages et de gestion, entre l’épargne longue et l’épargne courte.
Le député LREM vole alors au secours de ce qu’il considère comme la réforme fiscale majeure du quinquennat d’Emmanuel Macron. Le PFU aurait contribué à effacer les derniers chocs fiscaux subis par les Français depuis dix ans, et à mettre en place un climat d’investissement favorable.
Sans doute désireux de donner à son tour une profondeur à la présentation d’un projet d’épargne, réduit aux promesses fiscales, le représentant de Mme Le Pen surenchérit : il veut la mise en place d’un fonds souverain français qui sera de l’épargne privé investie dans des projets servant des biens communs nationaux (environnement, infrastructures, territoires, fonds propres des entreprises, etc), placé sous l’égide de la Caisse des Dépôts et Consignations (remarque : quelle différence avec la Banque publique d’Investissement ?).
Chassez le clivage gauche/droit, il revient au galop
Merci l’AFER. Si certains interrogeaient la pertinence et l’actualité du clivage droite/gauche, ils auront été servis par cette soirée.
Quand on parle fiscalité, les vieux réflexes ressurgissent toujours. Deux camps se sont très clairement distingués : l’un prônant la conservation et la stabilité du cadre fiscal au nom de la lisibilité de l’impôt, du droit pour les Français de se prémunir individuellement contre les risques de la vie et de transmettre librement ses biens à ses proches sans avoir à payer un « impôt sur la mort », expression reprise par presque tous. L’autre parti invoque la nécessité de lutter contre l’assignation sociale à résidence, l’accroissement des inégalités et la concentration des patrimoines, qui serait le syndrome d’un vieillissement inquiétant de la société française et de la faiblesse de l’investissement.
Pour autant, on peut regretter l’absence de débat de fond sur les défis de l’épargne à l’heure de la transition écologique et énergétique, et à un moment où l’Europe se trouve à la croisée des chemins. Des travaux intéressants ont pourtant été initiés à Bruxelles à propos du marché de l’assurance. La dernière directive MIFID II a proposé des pistes intéressantes en matière de transparence des offres d’épargne et de garantie donnée à l’épargnant dans l’accès à un service de qualité qui lui soit objectivement favorable (frais, conseil en investissement financier).
En parallèle, les sénateurs LR Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier, à la suite du rapport d’information publié en octobre 2021 dans le cadre de la commission des Finances (La protection des épargnants : payer moins et gagner plus 2), ont présenté tout récemment une proposition de loi revigorante. Une grande partie des problèmes de fond liés au marché de l’épargne, est traitée sans ambiguïté dès l’exposé des motifs : « Le marché de l’épargne français se caractérise […] par des défauts dans son fonctionnement : une concurrence entre acteurs limitée, un nombre élevé d’intermédiaires ou encore un faible développement de la gestion passive. Cette structuration du marché de l’épargne se traduit ainsi par un niveau de frais élevé qui pèse sur la performance servie aux épargnants. » Le projet de loi mène une attaque en règle contre le système des rétrocommissions et des commissions de mouvements, et propose entre autres, une transférabilité totale de l’assurance-vie.
Voilà les problématiques profondes liées au marché de l’épargne sur lesquelles nous aurions aimé entendre les différents porte-paroles des prétendants à l’Elysée. On en conviendra : c’est sans nul doute moins sexy que l’abattement sur les successions avant 70 ans.
*****************************************************
[1] Depuis l’accord de Paris sur le Climat, le financement des énergies fossiles a grimpé de près de 5,9% entre 2016 et 2020. Si les institutions bancaires américaines caracolent en tête des principaux financeurs (JP Morgan, Citi, Wells Fargo et Bank of America), les banques françaises ne sont pas en reste : leurs financements dans cette filière ont augmenté de 19 % par an en moyenne entre 2016 et 2020. BNP Paribas est particulièrement pointée du doigt, mais la Société Générale et le Crédit Agricole ont également un bilan négatif en la matière. Voir Les Echos, 24/03/2021
[2] COMMISSION DES FINANCES MM. Jean-François HUSSON et Albéric de MONTGOLFIER Rapporteurs, Mercredi 06 octobre 2021, La protection des épargnants : payer moins et gagner plus