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COVID 19 ou comment le monde accélère sa bascule vers l’Asie

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Bastien COLET
REGARD FINANCIER SUR LE MONDE
7 min
09/12/2020
COVID 19 ou comment le monde accélère sa bascule vers l’Asie

Comme partout dans le monde, la pandémie liée à la COVID-19 a puissamment impacté la zone Asie-Pacifique. Néanmoins, à l’heure où l’Europe et l’Amérique du Nord sont aux prises avec une seconde vague de contamination, la situation sanitaire semble stabilisée en Asie. Aussi les économies de la région ont-elles retrouvé graduellement le chemin de la croissance. S’il est une leçon à retenir de l’année 2020, c’est que la région Asie-Pacifique s’est définitivement imposée comme horizon mondial de croissance et d’innovation.

Diversité et dynamisme de la zone Asie-Pacifique (APAC)

À différents niveaux et temporalités, les pays de l’APAC connaissent des mutations majeures de leur économie et de leur société. Traditionnellement se détachent trois puissances dominantes : le Japon1, puis avec l’essor des BRICS, la Chine et l’Inde qui tentent de manière plus ou moins affirmée à assoir un leadership mondial. Ensuite se distinguent les « Quatre Dragons »2 qui ont connu une forte croissance industrielle et jouissent aujourd’hui de niveaux de vie comparables aux pays occidentaux : Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour et Taiwan. Enfin, les « Nouveaux Tigres asiatiques » forment les pays émergents en croissance rapide : Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Vietnam.

Ces sous-ensembles composent des modèles économiques dont l’hétérogénéité est néanmoins pondérée par des facteurs communs : par exemple, le dynamisme de la croissance économique ou l’importance du réservoir démographique. Sur ce dernier sujet, dans la plupart des pays de l’APAC, des transformations structurelles à l’œuvre depuis 20 ans, tendent à s’accélérer : les populations sont de plus en plus urbaines et les classes moyennes se densifient. C’est dans la zone Asie-Pacifique que se trouvera l’immense majorité (90%) des 2.400 millions nouveaux membres de la classe moyenne qui accèderont à une économie globalisée. Aussi, le changement du profil des consommateurs tend à remodeler les systèmes productifs asiatiques vers davantage de durabilité, de qualité ou d’intégration des critères environnementaux.3

L’APAC se trouve bien désormais sur une ligne de crête, entre un vieux monde industriel tourné vers l’exportation et un nouveau modèle économique centré sur la consommation domestique et le développement durable. Ce passage compose l’élément structurant de l’économie mondiale alors qu’en 2030, l’Asie-Pacifique devrait représenter 60% de la croissance du globe.

Un tournant à négocier : la formation d’un pôle autonome et innovant

Les trois piliers de l’horizon de développement de la zone Asie-Pacifique sont :

  • L’investissement dans les infrastructures qui permettra d’accroître l’accès aux marchés et aux ressources ;
  • Le commerce intrarégional ;
  • Les PME, pourvoyeuses d’emplois et d’innovations.

Si 50% des flux commerciaux dans le monde transitent par l’Asie, c’est bien le commerce intra asiatique qui connaît une forte expansion. Il est notamment lié au renforcement des échanges Chine / ASEAN. Loin d’un ralentissement du trafic interne lié au Coronavirus, les relations commerciales entre la Chine et l’Asie augmentent de 5.6% pour atteindre 299 milliards de dollars durant la première moitié de l’année. L’Asie du Sud Est est devenue le premier partenaire commercial de la Chine (dépassant l’UE).

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Le commerce intra asiatique représente ainsi 33 millions d’EVP par an. Récemment, les grands armateurs Maersk et MSC ont puissamment investi dans leur réseau intra asiatique pour offrir des connexions compétitives entre les ports chinois, les Philippines, le Vietnam, la Thaïlande, Taiwan ou l’Indonésie. L’intégration économique de la région se poursuit avec la récente mise en place d’un système en réseau de transit douanier partagé par les pays de l’ASEAN (l’ACTS) qui permettra aux entreprises de profiter pleinement de cette communauté économique et de la libre circulation des marchandises.

D’autre part, l’attention portée aux PME par l’ensemble des gouvernements de la région témoigne de la volonté de refonder l’économie domestique sur l’innovation et les secteurs à haute valeur ajoutée En 2011, la Chine dénombre 50 millions de PME qui totalisent 99% des entreprises, 60% du PIB et 68% du volume des échanges.

Les responsables publics tendent à assouplir l’environnement juridique et fiscal des PME pour fournir des informations rendant plus efficientes les décisions d’entreprise. La Malaisie a par exemple inscrit les PME au cœur de sa stratégie de développement pour les années 2020 : elles y représentent 65% de l’emploi et comptent pour près de 36% du PIB national. Après les Plans directeurs de l’Industrie malaisienne 2 (2000–2005) et 3 (2006–2020), le Plan directeur pour les PME (2012) achève de consacrer ces unités de production en composante stratégique du développement : l’objectif du gouvernement sur 10 ans est d’accroître de 10 points la contribution des PME dans le PIB national.

Résilience du système financier asiatique à l’issue du coronavirus

La cohésion de l’APAC s’est enfin fortement colorée à l’épreuve du Coronavirus. Pour endiguer la contamination, les gouvernements locaux ont eu recours à des mesures de restrictions variées : couvre-feu, confinement, quarantaines, fermeture des frontières. Ces politiques agiles ont été globalement récompensées comme en témoigne le faible nombre de cas par millions d’habitant de la zone Asie dans son ensemble.

Bilan : les 10 économies de l’ASEAN vont reculer de 3.8% en 2020, mais devraient connaître une reprise à hauteur de 5.5% en 2021.4 La reprise ne sera pas une tendance lisse et continue : plutôt un processus intermittent de type stop-and-go mais la résilience de la zone n’est plus à démontrer.

En 2020, des politiques monétaires expansionnistes et des dispositifs fiscaux incitatifs, ont contribué à la restauration de la stabilité financière dans l’ASEAN. En plus des mesures de soutien nationales, se superposent des filets de sécurité régionaux tels que le programme ASEAN Disaster Risk Financing Insurance (ADFRI)5 ou la Chiang Mai Initiative Multilateralization (CMIM) : réseau d’accords bilatéraux de crédits croisés de 120 milliards de dollars, résultant de l’initiative de coopération financière ASEAN+3.

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Les marchés financiers reflètent de mieux en mieux cette nouvelle réalité économique. La Chine est désormais le deuxième marché boursier et le troisième marché obligataire au monde. Et ces marchés sont aujourd’hui ouverts aux investisseurs étrangers.

Or, même en intégrant les flux de la 2ème partie de 2020, les investisseurs internationaux sont encore relativement sous-pondérés sur l’Asie au regard de l’importance de la zone dans l’économie mondiale et les perspectives de croissance à venir. Cela représente une opportunité d’investissement à long terme.

Une attraction croissante vers les secteurs innovants

La crise du coronavirus a creusé un sillon : l’Asie-Pacifique polarise désormais les investissements dans les secteurs innovants. C’est sur ce tempo que les responsables publics envisagent clairement la reprise économique.

Parallèlement à l’urgence de la lutte contre la Covid 19, les gouvernements de la région ont formulé des stratégies offensives ainsi que de nouvelles normes pour encourager la digitalisation des produits et des services. L’objectif est d’édifier un environnement ouvert à l’innovation du digital susceptible de garantir la stabilité financière et les intérêts des publics. Ces derniers mois ont vu opérer au sein de l’APAC, des plateformes e-commerce et des réseaux qui remodèlent les secteurs financiers : paiement digital, prêts, banque, gestion d’actifs. Globalement, l’industrie des services digitaux (data, digitalisation, cloud, crypto, DLT) connaît une expansion fulgurante dans la région.6

Le pole Asie anticipe très bien les mutations à venir :

  • Le rapport 2020 du Forum Economique Mondial “Future of Jobs” montre que d’ici 2025, 85 millions d’emplois pourraient être amenés à disparaître du fait de l’automatisation , tandis que que 97 millions, adapatés à la nouvelle division du travail entre les humains, les machines et les algorithmes, devraient émerger.
  • Le classement PISA témoigne enfin des investissements importants réalisés par la Chine, Singapour, le Japon et la Corée pour relever les défis éducatifs.

Cette réalité, loin d’inquiéter, doit être une source d’intérêt et d’inspiration pour nous Européens. Profitons et participons de ce dynamisme. Nous disposons de grandes ressources (humaines, infrastructures, capitaux, technologies, réglementations) pour relever le défi d’un développement équilibré, durable et innovant.

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  1. Une émergence précoce dans le sillage du succès de la théorie du développement « en vol d’oies sauvages » formulée par Kaname Akamatsu dans les années 1930.
  2. E. F. Vogel, The Four Little Dragons: The Spread of Industrialization in East Asia, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1991.
  3. Future of Consumption in Fast-Growth Consumer Markets: China
    https://www.weforum.org/reports/future-of-consumption-in-fast-growth-consumer-markets-china
  4. Asian Development Outlook 2020 Update, September 2020
  5. Notamment piloté par la Nanyang Technological University de Singapour et le Secrétariat de l’ASEAN, ce programme développe une plateforme de données et d’évaluation des risques qui aide les États membres à utiliser des données et des outils d’analyse pour évaluer les actifs clés, identifier les risques potentiels et développer des solutions de financement. Il s’appuie sur un groupe consultatif composé d’Etats membres, d’organisations internationales et de partenaires industriels.
  6. Grace Fung, « Asia-Pacific : What lies ahead », International Financial Law Review, 23 juin 2020
    https://www.iflr.com/article/b1m635lr7mbzqw/asia-pacific-what-lies-ahead
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