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Chine : le « rêve national » à portée de mains

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Bastien COLET
REGARD FINANCIER SUR LE MONDE
10 min
27/09/2021
Chine : le « rêve national » à portée de mains

Les décideurs chinois travaillent patiemment à l’édification d’horizons lointains. « Les décisions politiques s’inscrivent systématiquement dans le temps long et s’appuient sur des évaluations sans concession des événements de façon à en tirer les enseignements utiles pour progresser, sans hâte, et atteindre sûrement les objectifs visés.1 » Ainsi Xi Jinping pouvait-il récemment promettre qu’en 2049, pour le centième anniversaire de la proclamation de la République populaire, la Chine atteindrait dans tous les domaines, les objectifs lui permettant d’imposer son leadership à l’échelle mondiale. En matière économique et financière, comme en géopolitique, la Chine réalise aujourd’hui une métamorphose spectaculaire qui devrait sans doute lui permettre de réaliser ce « rêve national ».

La conversion de l’économie à marche forcée

Le 2 septembre dernier, le président Xi Jinping révélait la naissance prochaine d’une Bourse à Pékin, destinée aux petites et moyennes entreprises innovantes. Elle viendra compléter les deux principales places boursières de la Chine, Shanghai et Shenzhen. Le régulateur chinois des valeurs mobilières a déclaré que l’avènement de ce troisième centre financier, permettra d’accélérer les réformes structurelles attendues sur les marchés de capitaux chinois.

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Loin d’être une surprise, cette annonce est en réalité parfaitement cohérente avec la transformation progressive des structures de l’économie chinoise, dont la résilience à l’épreuve du COVID-19, a de quoi susciter l’admiration. Dès les années 2000, notamment après la publication du plan de développement des sciences et technologies à moyen / long terme (2006–2020), la Chine met en place une batterie de mesures pour promouvoir les PME innovantes. Deux plans quinquennaux — XI (2006–2010) et XII (2011–2015) — assortis de moyens colossaux, suivront. Si le XIème plan se concentrait sur les investissements dans l’infrastructure de la recherche et des grandes entreprises (notamment les entreprises d’État), le XIIème plan s’oriente vers l’innovation endogène (ou l’innovation autonome), et ménage une place centrale aux PME, leviers de l’innovation et de la croissance économique. Entre-temps, des critères de qualification de l’entreprise chinoise de haute technologie sont définis, en même temps que s’affine l’identification statistique de la PME.2 Une enquête réalisée auprès de 136 PME innovantes labellisées témoigne des mutations internes de l’économie chinoise : l’orientation croissante des ressources générées par ces acteurs vers l’innovation, est à la fois tirée par des besoins du marché et des besoins proprement technologiques.3

Du reste, cet intérêt renouvelé des décideurs chinois à l’endroit des PME innovantes, s’inscrit dans un effort politique global de restauration de « l’empire du parti » (Dang tianxia) et de « re-totalitarisation du régime. »4 Les freins posés aux multinationales chinoises et à leur dirigeant, en offre une illustration parfois brutale. « Au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, au centre, le Parti dirige tout »5 Le contrôle étatique renforcé s’est par exemple traduit par le blocage en 2020 de l’introduction en bourse à Hong Kong de la Fintech géante, Ant Group. De même, peu de temps après que BlackRock ait signifié la création d’un fonds commun de placement, Pékin a nationalisé des éléments clés d’Alipay, portefeuille numérique le plus important au monde. Aussi, les plus grands écosystèmes de commerce électronique du monde (Tencent, Alibaba, Pinduoduo) ont dû s’aligner sur les normes et priorités du parti.6 La cotation des entreprises chinoises à Wall Street fait l’objet d’une attention redoublée de la part de Pékin qui a ainsi interdit l’application concurrente de Uber, Didi, après que celle-ci soit passée en force à la bourse de New-York pour une valorisation à 4.4 milliards de dollars.

Alors que durant longtemps, la Chine restait fragilisée par une interprétation différenciée du droit international (normes de l’OMC, droit de la mer, etc.), elle craint de moins en moins d’imposer ses propres règles et de promouvoir des institutions multilatérales alternatives (à l’instar de la BAII où Pékin s’est arrogé un droit de veto similaire à celui dont jouit Washington au sein de la FMI et de la Banque mondiale).7

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Parallèlement, le 22 septembre 2020, Xi Jinping a affiché les ambitions de la première puissance économique mondiale en matière de transition écologique et énergétique. La Chine atteindrait son pic d’émissions de gaz à effet de serre avant 2030 et la neutralité carbone d’ici 2060. Dans plusieurs secteurs, le pays a d’ores et déjà réalisé des avancées spectaculaires : les émissions de dioxyde de soufre ont diminué de 75% en dix ans (grâce à la mise en place de filtres dans les centrales électriques à charbon)8, les eaux de surface polluées sont passées des deux tiers au quart, la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique chinois est passé de 3% en 1978 à 14% en 2018. En même temps, certains défis sont encore loin d’être relevés (surpêche, gestion des forêts, etc.) et le géant asiatique risque très rapidement d’être rattrapé par des problématiques environnementales graves et irréversibles, qui, ajoutées au vieillissement de la population, risquent d’affecter les perspectives de développement et de transition dégagées par les autorités (relèvement du niveau des eaux menaçant les plaines côtières, stress hydrique, habitabilité des villes). Néanmoins, engagée dans une « poly-transition écologique », Pékin veut faire preuve d’une audace et d’un pragmatisme conformes à l’orthodoxie renouvelée du « socialisme à la chinoise ».9 Le défi est de taille : transitionner tout en maintenant un taux de croissance qui évite une hausse trop importante du chômage, et en gérant une société d’1.4 milliards d’habitants, de plus en plus inégale et des classes moyennes de plus en plus exigeantes.

De la sanctuarisation d’un « espace vital » à la projection internationale

Depuis 2010, la diplomatie chinoise collectionne les succès. La presse occidentale se fait l’écho de cette nouvelle génération de diplomates, qui se distingue par un esprit combattif, une habileté certaine dans la maîtrise des moyens de communication et une propension à saturer l’espace médiatique. Ces fameux « loups guerriers »10 ont témoigné de leur détermination dans le sillage de la crise du coronavirus, se faisant les VRP d’un Etat accusé d’être à l’origine de l’épidémie de COVID-19. C’est que l’interminable déliquescence de l’Etat impérial chinois au XIXe siècle, l’agressivité et les prétentions vexatoires de l’impérialisme occidental, l’humiliation de l’occupation japonaise, ont nourri de profonds traumatismes dans la conscience de la Chine contemporaine, qu’il s’agirait désormais d’exorciser définitivement.

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Construit au IIIe siècle av.JC., le fameux mausolée de l’empereur Qin Shi Huang, comporte plus de 8.000 soldats en terre cuite, 520 chevaux et 130 chars, qui accompagnent le souverain dans l’au-delà.

En Afghanistan, la Chine, qui compte une frontière stratégique commune, semble avoir anticipé l’effondrement du régime soutenu par les Occidentaux, et n’a pas attendu la prise de Kaboul pour initier des tractations avec les nouveaux maîtres du pouvoir. Le 28 juillet 2021, le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi, recevait à Tianjin le mollah Baradar. Le 02 septembre, dans les colonnes du journal italien La Repubblica, Zabihullah Mujahid, porte-parole des Talibans, qualifiait la Chine de « partenaire le plus important », prêt à « investir et à reconstruire ». Aussi, le gouvernement taliban s’est dit entre autres, favorable à la poursuite de l’initiative chinoise « One Belt, One Road » qui vise à relier la Chine à l’Afrique, l’Asie et l’Europe à travers un immense réseau d’infrastructures de transports. En outre, à l’instar de Moscou, Pékin n’a pas rapatrié son personnel diplomatique de la capitale afghane, et Kaboul s’est engagée à coopérer dans la lutte contre les mouvements identifiés comme terroristes par son puissant voisin (Ouïghours et rebelles du Baloutchistan).11

Au-delà des habiles manœuvres européennes (promptes à compartimenter les échanges entre pays membres de l’UE : le rapprochement sino-italien en offre un exemple éclatant) et de l’offensive commerciale en Afrique de l’Est, c’est la politique maritime dans la zone indopacifique qui traduit le mieux l’essor de la puissance chinoise.

A l’échelle régionale, s’estimant confortée par la nature et l’histoire, la Chine tend ouvertement à imposer son contrôle sur toutes les eaux circonscrites entre la péninsule coréenne, les îles japonaises de Senkaku (contestées), Taïwan (désignée d’« intérêt vital » par Pékin, dès 2003), l’archipel des Philippines, et jusqu’aux îles Natuna. Au total, c’est toute la Mer de Chine méridionale que la Chine revendique aujourd’hui ; d’où les tensions croissantes avec la marine américaine autour des îles Spratleys, également contestées. Cette tactique s’ajuste à une puissante composante de guerre des mines, et au déploiement de sous-marins depuis la base de Long Shan, construite sur l’île d’Hainan. Grâce à l’aboutissement d’importants programmes scientifiques chinois de pénétration sous la mer, la Chine entre en 2010 dans le club des cinq pays capables de plonger à plus de 3 500 m, en compagnie des États-Unis, du Japon, de la France et de la Russie. Depuis 2014, la marine militaire chinoise se positionne au deuxième rang mondial en termes de tonnage, derrière les Etats-Unis. Alors qu’en 2012, le géant asiatique ne possédait aucun porte-avion, sa marine dénombre aujourd’hui deux aéronefs (un troisième probablement opérationnel en 2024). En 2017, décision est prise de faire passer le corps des fusiliers marins chinois de 8.000 à 100.000 hommes.

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L’objectif visé est la sécurisation du détroit de Malacca, verrou des réseaux maritimes chinois dans l’océan Indien et au-delà. Dès le début des années 2000, la Chine se dote en effet de points d’appui tout au long de ses principales voies d’approvisionnement en hydrocarbures12 : elle établit des bases navales à Djibouti, Gwadar et Jiwani au Pakistan, Sittwe et Kyaukpyu (terminal pétrolier) au Myanmar.

La marine chinoise s’affiche désormais dans toutes les mers13, manœuvre en Méditerranée14 ou en Baltique15, pratique depuis 2012 des exercices conjoints avec la Russie de la mer Noire à la mer de Chine, en passant par les côtes syriennes, et annonce en 2017, la création de la branche arctique de la route maritime de la soie.

Les ambitions géopolitiques de Pékin sont claires : si le regard marmoréen de « l’oncle Xi » ne laisse rien paraître quand, devant le bureau du Parti en juin dernier, il plaide en faveur d’une Chine « fiable, aimable et respectable »16, la réalité des tensions transpire par voie de presse. Le vendredi 17 septembre, à la suite de l’annonce de l’alliance AUKUS (Australie-UK-USA), l’éditorial du China Daily titrait : « Washington forme un nouveau gang pour imposer la loi de la rue dans un jeu sans règle. »

Le temps où la Chine appliquait le précepte de Sun Zi selon lequel : « Lorsque l’ennemi est trop puissant, il faut refuser le combat », semble bien révolu. La vulnérabilité des Etats-Unis et, plus globalement du camp occidental, tant du point de vue économique que géopolitique, au sortir de l’épidémie mondiale, accélère l’adoption par l’Empire du Milieu, d’un nouveau modus vivendi.

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  1. Eudeline Hugues, « L’extraordinaire essor de la puissance navale chinoise », Revue Défense Nationale, 2018/2 (N° 807), p. 85–94.
  2. L’attribution du statut d’entreprise de haute technologie exige les critères suivants (Torch, 2000 ; 2008) :
  • Opérer dans les secteurs de haute technologie identifiés ;
  • Des dépenses de recherche et développement (R&D) qui représentent au moins 5% du chiffre d’affaires ;
  • Au moins 30% de salariés titulaires d’un diplôme équivalant à la licence ou plus ;
  • Au moins 10% de l’effectif consacré aux activités de R&D ;
  • Au moins 50% des revenus générés par les produits innovants et les services techniques ;
  • Une capacité technologique suffisante permettant de se développer grâce à l’innovation interne.
  1. Liu Zeting, « Les politiques pour la promotion des PME innovantes en Chine », Marché et organisations, 2014/2 (N° 21), p. 113–131.
  2. Béja Jean-Philippe, « Xi Jinping ou le retour du totalitarisme », Esprit, 2020/12 (Décembre), p. 41–54.
  3. “Full Text of Xi Jinping’s Report to the 19th CPC National Congress”, Xinhua, 3 novembre 2017.
  4. «Wall Street et la Chine : une histoire d’amour vouée à l’échec », Forbes, 20/09/2021
  5. Cabestan Jean-Pierre, « Conclusion. Volonté de puissance et fragilités de la chine populaire », dans : , La politique internationale de la Chine. Entre intégration et volonté de puissance, sous la direction de Cabestan Jean-Pierre. Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2015, p. 541–564.
  6. « Recent large reduction in sulfur dioxide emissions from Chinese power plants observed by the Ozone Monitoring Instrument », AGU, 29/04/2010
  7. « Poly-transition écologique : l’exemple de la Chine », Guillaume Giroir, 09/06/2021
  8. Expression tirée d’un film d’action chinois intitulé Loup guerrier 2, réalisé par Wu Jin et sorti sur les écrans chinois en août 2017. Forte d’un succès exceptionnel en Chine, cette œuvre est qualifiée par La Croix de « brûlot anti-occidental à la gloire de la puissance chinoise » — La Croix, 12/05/2020, Les « loups guerriers », une nouvelle espèce de diplomates « made in China ».
  9. Le Monde, « Pékin demande aux talibans d’« éradiquer les organisations terroristes » en Afghanistan », Frédéric Lemaître, 18/09/2021
  10. Stratégie dite du « collier de perles », formulée par l’américain Christopher J. Pehrson dans son rapport de 2004 « Energy futures in Asia ». Voir Coutansais Cyrille P, « La Chine au miroir de la mer », Revue internationale et stratégique, 2010/2 (n° 78)
  11. En 2012, le bâtiment-école Zheng He accomplit la première circumnavigation avec 14 escales. Le nom du navire n’est pas anodin puisqu’il renvoie au célèbre explorateur maritime de l’époque médiévale, que ses voyages amenèrent jusqu’au Moyen-Orient et en Afrique de l’Est.
  12. En février 2011, la frégate Xuzhou est présente devant les côtes libyennes pour évacuer les ressortissants chinois fuyant l’imminence du déclenchement de l’opération militaire menée sous l’égide de l’ONU.
  13. Le 30 septembre 2015, le destroyer Jinan, la frégate Yiyang et le navire de ravitaillement Qiandaohu, après une mission d’escorte de navires marchands dans le golfe d’Aden et au large de la Somalie arrivent à Stockholm, pour une escale en Suède, marquant la première visite d’une unité chinoise en Baltique.
  14. L’Humanité, Xi Jinping rêve d’une « Chine aimable », 09/06/2021, Lina Sankari

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