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Facturer les dépôts bancaires… serpent de mer qui prend forme ?

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Bastien COLET
GESTION DE PATRIMOINE
6 min
29/01/2021
Facturer les dépôts bancaires… serpent de mer qui prend forme ?

La facturation des dépôts bancaires est un spectre qui réapparaît périodiquement en Europe. Cette fois-ci, certains signes traduisent l’accélération d’un glissement ; ultime épisode du mouvement de transformation que connaît la commercialisation des produits et services bancaires depuis plus de vingt ans.

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Le “serpent de mer” bancaire va-t-il broyer les épargnants comme il étreint ce navire suédois du XVIe siècle ? Carta Marina, Olaus Magnus, 1539

La fin justifie les moyens : le taux de dépôt négatif de la BCE

La banque exerce historiquement trois métiers :

  • Collecter les avoirs liquides ou quasi liquides des autres agents économiques ;
  • Le crédit ;
  • La gestion de moyens de paiement.

Depuis, les établissements bancaires ont certes diversifié leur offre en proposant des produits financiers (fonds mutuels, assurances-vie, placements), mais la triple fonction traditionnelle demeure centrale.

La gestion des moyens de paiement est soit facturée sous forme de commission, soit non facturée (CB = abonnement annuel de l’acheteur + prélèvement sur montant de la transaction du vendeur). La rémunération du crédit passe par la perception de frais de dossier, commissions diverses, et surtout l’écart de taux entre le taux d’intérêt sur le crédit et le taux auquel le crédit est refinancé. L’activité de collecte des dépôts rapporte à la banque la différence entre le taux de rendement des placements qui peuvent être faits avec les dépôts et le taux servi sur les dépôts.

Un dépôt est réputé à vue lorsque son titulaire peut, à tout moment et sans préavis, faire des retraits partiels ou globaux (répondent à ces critères les dépôts en compte courant et les dépôts sur livrets).

Les dépôts à vue rapportent à l’établissement bancaire l’EONIA qui évolue à partir de 2019 vers l’€STER : c’est le taux d’intérêt interbancaire de référence du marché en zone euro. L’EONIA est largement déterminé par le taux de refinancement de la Banque centrale européenne (BCE).

En septembre 2019, la BCE a abaissé son taux de dépôt à -0.50% et la perspective d’un maintien en territoire négatif pendant de longues années, promet aux banques une dégradation durable de leur rentabilité.

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Pour la BCE, l’objectif est de stimuler les activités économiques menées par les banques et de favoriser l’utilisation des liquidités détenues. La BCE espère ainsi multiplier les investissements réalisés par les établissements bancaires, à travers les emprunts notamment, plutôt que ces-derniers placent leurs liquidités excédentaires en réserve.

Du point de vue des banques, au lieu de favoriser les investissements, ce taux négatif impacte leur rentabilité, en dégradant la marge entre le taux de crédit et le taux de refinancement. Cette politique devient donc coûteuse pour les établissements européens.

Afin de préserver leur rentabilité, les banques n’auraient d’autre choix que de répercuter les coûts sur leurs clients.

La levée progressive d’un tabou ?

Au Danemark et en Suisse, où les taux des banques centrales sont encore plus bas que celui de la BCE, les établissements bancaires ont initié le mouvement à l’été 2019. Jyske Bank, la troisième banque danoise, a par exemple annoncé qu’elle allait imposer des taux négatifs sur les dépôts supérieurs à 7,5 millions de couronnes danoises (975.000 euros)1. Pictet, le Crédit Suisse et UBS ont également décidé de répercuter sur les clients de leur marché domestique le coût des taux négatifs sur les dépôts pratiqués par la BCE et la Banque nationale suisse (BNS). Les clients UBS dont les dépôts en liquide sont supérieurs à 500.000 euros doivent désormais s’acquitter de 0,6% de frais par an.2

En Allemagne, la BaFin, le régulateur financier allemand, soutenue par la Bundesbank, s’est dite défavorable à une interdiction de la répercussion des taux d’intérêt négatifs sur les dépôts bancaires des particuliers.3 C’est que le taux d’intérêt négatif appliqué par la BCE depuis 2014 sur les dépôts de banques, s’est traduit pour les banques allemandes par un coût global de 2.3 milliards d’euros en 2018 (1.8 milliard pour les banques françaises). De fait, une vingtaine d’établissements bancaires outre-Rhin ont appliqué un taux négatif pour les particuliers qui possèdent plus de 100.000 euros en liquidités. Néanmoins, ce seuil a rapidement fait long feu. Fin 2019, la Volksbank Magdeburg annonce introduire un taux d’intérêt négatif à partir d’une épargne liquide de 75.000 euros. Et finalement, la Volksbank Raiffeisenbank a décidé pour chaque nouveau client ayant ouvert un compte épargne, de prélever une taxe de 0,5 % dès 0,01 euro de dépôt.4 Au total, fin janvier 2020, près de 190 banques et caisses d’épargne allemandes taxaient les dépôts de leurs clients, dont 90 pour la clientèle de particuliers.

Cette bascule s’est étendue à de nombreux pays européens comme les Pays-Bas ou l’Irlande. L’Ulster Bank a commencé à facturer des taux négatifs sur les dépôts de plus d’un million d’euros détenus par des clients commerciaux et institutionnels, tandis que la Bank of Ireland a décidé d’imposer des frais d’intérêt aux PME détenant plus de 2,5 millions d’euros sur leurs comptes. AIB envisage quant à elle de répercuter sur les clients particuliers détenteurs de gros comptes les intérêts négatifs, devenant ainsi la première banque irlandaise à sauter le pas.5

Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a d’abord manifesté des réserves quant à la répercussion des taux négatifs sur les particuliers français. Il soutient plutôt l’idée de mesures compensatrices pour protéger la profitabilité bancaire (tiering : exempter du taux négatif une partie des réserves excédentaires par un système de paliers).

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Pourtant, la néo-banque allemande N26, qui dénombre 1.75 millions de clients français, a décidé de taxer à 0.5% le montant des dépôts qui excède 50.000 euros pour ses nouveaux clients à partir du 19 octobre 2020.

Le verrou a donc finalement sauté en France. Plusieurs établissements français avaient déjà mis la question sur la table pour les gros dépôts, mais pour le moment encore, les acteurs sont attentistes et observent la concurrence : qui va le premier briser le plafond de verre parmi les institutionnels ? Du reste, en attendant et pour compenser ces pertes de rentabilité, les établissements bancaires ont déjà fait le choix d’augmenter le coût de leurs services.

Épargner autrement

En France, dépassant la barre des 20%, le taux d’épargne des ménages a atteint un niveau record en 2020 : 130 milliards d’euros de collecte nette. Cet afflux de liquidités coûte d’autant plus cher aux banques qui, soumises à une pression montante, répercutent le coût sur le client.

Les épargnants doivent donc s’orienter vers de nouvelles formes d’investissements. Avant cette évolution, les ménages pouvaient d’ores et déjà obtenir une rémunération sur leur trésorerie tout en gardant une totale disponibilité de celle-ci, par l’intermédiaire des SICAV et FCP (fonds monétaires) et de produits type compte sur livret.

L’essentiel est encore ailleurs. La tension plus globale que soulève la facturation des dépôts illustre l’incroyable inversion du rapport entre la banque et le client. Au-delà des logiques financières macro et micro qui soutiennent cette évolution, il apparaît complètement invraisemblable pour le simple mortel, que demain, il puisse avoir à payer son banquier pour lui confier son argent. S’ouvre dans tous les cas un beau chantier de communication marketing.

Ce contexte rend surtout impérieuse l’exigence de retrouver de l’autonomie dans ses choix d’épargne. Il s’agira d’opter pour des solutions collaboratives dans lesquelles la mission du conseiller en investissements, par l’indépendance qu’il exerce dans ses arbitrages, retrouve toute son importance.

Les pratiques et les stratégies mises en œuvre à l’échelle individuelle doivent donc avancer vers des solutions de placement pérennes qui à la fois ménagent notre liberté et nous incitent à investir en faveur d’équilibres sociaux et environnementaux durables.

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  1. « Jyske Bank impose à son tour des taux négatifs sur ses dépôts », L’AGEFI, 21/08/2019
  2. « UBS fait payer les taux négatifs à ses riches clients », L’AGEFI, 07/08/2019
  3. « Allemagne, l’autorité bancaire, pas contre la facturation des dépôts », Reuters, 05/09/2019
  4. « Taux négatifs : une banque allemande taxe les dépôts dès le premier centime d’euro », Les Echos, 19/11/2019
  5. « AIB considers charging wealthy costumers for holding their money », The Irish Times, 06/10/2020

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