Alors que l’élection de Donald Trump a confirmé la montée globale de l’anti-establishment quelques mois après le Brexit, les mois qui viennent présentent une réelle menace pour la zone euro.
Il semble de plus en plus inéluctable que la zone euro à 19 pays dans son format politique et économique actuel ait une durée de vie limitée. Un événement politique pourrait servir de catalyseur et déclencher une instabilité importante. Or l’agenda politique est chargé avec une série d’échéances électorales représentant 75% du PIB de la zone euro dans les 12 prochains mois.
Le malaise européen
En Europe comme ailleurs, le malaise économique et social entraîne la montée du populisme et des partis anti-establishment. Les peuples remettent en question une « élite » qui semble de plus en plus déconnectée de leurs préoccupations et qui propose des remèdes inefficaces aux difficultés du plus grand nombre. En particulier, au sein de la zone euro, le sentiment grandissant est qu’un ensemble de technocrates non élus impose des politiques inadaptées alors que la majorité des européens se sont appauvris au cours des dix dernières années.
La crise de 2008 est un événement majeur auquel les responsables politiques et économiques internationaux ont été confrontés. De ce point de vue la comparaison de l’évolution du PIB en Europe et aux Etats-Unis est instructive :
Dans un premier temps, la crise des subprimes a produit un ralentissement économique comparable des deux côtés de l’atlantique mais le cycle de reprise initié en 2009 est tout à fait différent. La croissance du PIB américain depuis 2009 constitue une période souvent décrite comme la pire reprise économique de l’histoire. Pourtant, le graphique ci-dessus montre que cette « croissance molle » américaine d’un peu plus de 10% entre 2007 et 2015 est sans comparaison avec la stagnation que la zone euro a connu sur la même période.
Si les banques ont été renflouées pour faire face au risque systémique, la majorité des européens a vu son train de vie diminuer en terme réel. C’est pourquoi il n’est pas rare de parler d’une décennie perdue pour les citoyens européens.
Globalement, le constat est clair : la zone euro n’a pas été en mesure d’atteindre son objectif de prospérité. Cependant cet état de fait général masque une situation très inégale pour les pays membres :
Au niveau national, ce deuxième graphique est édifiant. Force est de constater que la zone euro n’a pas su engendrer plus de convergence que de prospérité. Les disparités entre les pays sont très importantes et les pays du sud semblent être les grands perdant du système actuel. Outre la situation désastreuse en Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal sont loin de leur niveau d’activité économique d’avant la crise.
Le système européen n’a pas été en mesure d’absorber la crise financière de 2008 et la crise des dettes européennes qui a suivi. En effet, la monnaie unique a permis d’éliminer le risque de change au sein de la zone mais elle n’a en aucun cas permis de diminuer le risque souverain.
Le remède qui s’est traduit par la politique interventionniste de la BCE n’a fait qu’augmenter les inégalités. Les injections massives de liquidités poussent le prix des actifs existant à la hausse sans avoir d’impact positif palpable sur l’économie réelle pendant que la baisse des taux d’intérêts pèse sur les « petits épargnants ».
D’autre part, la BCE a financé un endettement sans précédent de certains états qui sont maintenant dans une situation pour le moins délicate eu égard à leur capacité à rembourser les sommes empruntées. Paradoxalement, en l’absence de dette européenne commune, les pays qui auraient le plus besoin d’emprunter pour se restructurer se voient appliquer des conditions de crédit prohibitives.
Avec une devise commune et sans « Eurobonds », il est nécessaire d’avoir une convergence entre les pays car les disparités ne peuvent être absorbées par la première variable d’ajustement économique : la devise. Pourtant, les niveaux de chômage des 19 pays membres attestent d’une situation toujours plus fragmentée :
En aout 2016, la zone euro comptaient plus de 16 millions de chômeurs soit un taux de chômage de 10.1% contre 8.6% pour l’union européenne. Une grande partie de ces chômeurs vivent dans un ensemble de 6 pays — la Grèce, l’Espagne, Chypre, l’Italie, le Portugal et la France — qui ont un taux de chômage allant de 10.5% pour la France à 23.4% pour la Grèce. L’Allemagne compte le plus faible taux de chômage de la zone à 4.2% soit 5.6 fois moins que la Grèce alors que le taux de chômage italien équivaut quasiment au double de celui des Pays-Bas.
Ces taux de chômage élevés et disparates constituent une véritable problématique économique et sociale d’autant que la concentration de chômeurs chez les jeunes dans les pays du sud ne pousse pas à l’optimisme. Il faut dire que les états membres ne disposent pas d’un marché du travail homogène. La question des salaires minimaux en est un exemple frappant :
Sur cette question, les états membres sont divisés en 4 groupes distincts. Le salaire minimum n’est pas généralisé au sein de la zone puisque l’Italie, Chypre, l’Autriche et la Finlande n’en disposent pas. Les données du 1er janvier 2016 mettent en évidence trois ensembles parmi les états ayants instaurés un salaire minimum. Il est possible de synthétiser l’ampleur des écarts en remarquant que la moyenne du premier groupe — 1570 € — équivaut à plus du double de celle du second groupe — 717 € — et à plus de quatre fois le salaire minimum moyen du troisième groupe — 389 €.
En plus de la fragilité globale affichée, la zone euro apparait donc morcelée. Toutes les expériences semblables de fixation politique du taux de change ont échouées sur la durée. Sans système bancaire et financier solide ni dette commune, sans harmonisation fiscale et avec un marché du travail aussi fragmenté, la situation actuelle n’est pas viable. Les disparités semblent trop importantes et ont entrainées un climat social délétère. L’absence de prospérité pour le plus grand nombre et la hausse des inégalités entrainent la montée des extrêmes. Ces partis progressent sur la base du bilan des pouvoirs en place et du statu quo qui est proposé en réponse aux insatisfactions.
Une échéance électorale pour 75% du PIB de la zone euro dans les 12 prochains mois
C’est dans ce contexte que nous abordons une période électorale décisive pour la zone euro :
L’agenda politique est chargé et les trois premières puissances économiques de la zone vont connaitre des élections déterminantes. Alors que la date du 4 décembre pourrait marquer l’élection d’un président d’extrême droite en Autriche, ce qui constituerait une première pour un pays d’Europe occidentale depuis la seconde guerre mondiale, l’attention des marchés sera centrée sur le référendum Italien. En effet, au-delà de la proposition de réforme constitutionnelle de Mr Renzi, le vote des électeurs aura des conséquences plus profondes pour l’échiquier politique Italien et la construction européenne.
Mr Renzi a personnalisé le référendum en promettant de démissionner si le « non » venait à l’emporter faisant écho à la démission de David Cameron après le « Brexit ». Ce scénario risque de provoquer une instabilité politique importante dans la 3ème économie de la zone euro alors que l’opposition est largement dominée par des partis anti-européens. À moyen terme, cela augmenterait fortement la probabilité de voir un évènement type « brexit » mais cette fois au sein de la zone euro. Un « Italexit » entraînerait très probablement la fin de la monnaie unique.
Au-delà de cette première échéance, l’incertitude qui entoure la zone euro sera un thème majeur en 2017–2018. Si la situation ne change pas, les investisseurs internationaux risquent de fuir les incertitudes et les flux sortant pourraient s’accélérer. Bruxelles doit se réveiller : le système actuel ne fonctionne pas et le statu quo est intenable, il faut avoir le courage de faire ce constat pour pouvoir redessiner une situation économique viable en Europe, avec ou sans l’Euro.