À chaque année bissextile (ou celle des JO si vous préférez), le monde retient son souffle. Pour savoir qui va gagner la finale du 100m certes, mais aussi pour scruter qui va remporter l'élection américaine rituelle de novembre.
Si l'Histoire d'aujourd'hui retient cette opposition supposée entre des démocrates interventionnistes et des républicains isolationnistes, c'est faire fi de l'Histoire la vraie. Le parti Républicain est à l'origine yankee, nordiste et anti-esclavagiste (pour des raisons économiques plus que éthiques), alors que la parti démocrate naît sur les bases du Sud défait, anti-abolitionniste.
Joe Biden sort un bilan économique en trompe-l’oeil. Certes, sur le terrain de la lutte contre le chômage, Joe Biden peut afficher des résultats plutôt positifs : « Nous avons créé 12 millions d'emplois depuis que j'ai pris mes fonctions. Le taux de chômage est le plus bas en 54 ans », avançait-il en février 2023. La “job machine” tourne bien : en décembre 2024, le marché du travail américain s'enorgueillait encore de belles performances avec 216.000 créations d'emplois. En même temps, le bien-être de la classe moyenne s’effrite. Malgré une hausse de revenus, le pouvoir d’achat moyen s’effrite compte tenu de l’inflation et de la péremption du régime d’aides, de subventions et d’exonération mis en œuvre au sortir de la crise COVID. C’est sous l'administration Obama et jusqu'en 2020 que la “middle class” a connu ses plus belles heures. Cette période d’abondance est désormais révolue. En 2022, le pouvoir d’achat du revenu médian (après impôts et transferts) a chuté de 8.8%. Le décrochage est encore plus significatif chez les familles monoparentales et au sein de la communauté hispanique. En outre, l’Etat a pris une place de plus en plus importante dans la rémunération des ménages.
De fait, les inégalités tendent à s'accroître au détriment des membres de la “lower middle class” : ces personnes qui travaillent et gagnent peu, sont les premières victimes de l’inflation. Habitant des territoires périphériques, elles voient les aides dont elles profitaient marginalement, subitement coupées. Ce public est par ailleurs de plus en plus éloigné politiquement des enjeux raciaux ; comme en témoigne la percée de Trump au sein de l'électorat hispanique et afro-américain (contrairement aux communautés plus urbanisées pour lesquelles le candidat républicain demeure un danger).
Sur le plan international, l’ancien ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, a raison de souligner que “la réélection de Trump serait pour nous Européens un désastre : un choc majeur.” Trump, à l’instar d’Obama, regarde vers le Pacifique et la Chine, et cherchera certainement à délier les Etats-Unis de ses engagements historiques en Europe. Il n’empêche que le retour de l’homme d’affaires à la Maison Blanche peut aussi constituer une opportunité historique, contraignant les Européens à s’émanciper du parrainage US ; solution de facilité (parfois) encombrante. La densification des relations entre Paris, Berlin et Varsovie, et le sursaut diplomatique quasi-unanime à la suite de l’agression russe, convergent vers une plus grande cohésion et indépendance du Vieux Continent.
Avec son inélégance coutumière, Donald Trump ne perd jamais une occasion de pointer les 81 ans du président sortant, et ses “trous de mémoire”. Le Républicain, qui n’a pas non plus l’âge d’un millennial, devra de son côté faire face à la Justice qui vient de le condamner à une amende vertigineuse pour fraude fiscale : 454 millions de dollars qu’il s’est déclaré incapable de payer. Le businessman peut certainement capitaliser sur cette déconvenue judiciaire, s’affichant en victime d’un “système” politico-judiciaire entre les mains des Démocrates. Il a lui-même reconnu dès 2016 pouvoir "tirer sur quelqu'un en plein milieu de la 5e avenue et ne perdre aucun électeur." Aussi incarne-t-il une figure providentielle pour l’Amérique blanche qui s’inquiète des 8 millions d’immigrés illégaux entrés sur le territoire depuis le début de la présidence Biden. Il capte également la réaction de l’électorat chrétien conservateur, évangélique, qui l’appréhende en nouveau roi babylonien repenti auquel Dieu a confié une mission messianique. A l’instar des autorités texanes qui défient la loi fédérale et agitent le vieux chiffon de la sécession, Trump se pose en “homme du peuple” déterminé à neutraliser l'établissement de la côte Est et les “wokes” de la côte Ouest. De fait, les “swing states” balancent aujourd’hui de son côté.
Les institutions américaines sont solides mais l’espace démocratique en lui-même se délite d’année en année. Deux Amériques se font face et ne se parlent plus. Le match est d’ores et déjà très violent et l’issue plus que jamais incertaine.