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Joe Biden et les lendemains qui chantent

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REGARD FINANCIER SUR LE MONDE
5 min
14/11/2020
Joe Biden et les lendemains qui chantent

Bien que son rival n’ait pas encore dénié reconnaître une défaite, l’élection de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis semble désormais acquise. Cette victoire saluée par les principaux dirigeants de la planète, a eu un impact positif sur les Bourses mondiales. Néanmoins, la bascule politique ne devrait pas se traduire par un infléchissement significatif de la politique américaine en matière de réglementation financière.

Sachons raison garder

Lundi, les marchés mondiaux ont applaudi le triomphe de Joe Biden : quelques minutes après l’ouverture, l’indice Dow Jones prend 1 351,29 points, soit 4,77%, à 29.674,69 points après un pic historique à 29.933,83. Les marchés européens ont accompagné le mouvement : vers 08H35 GMT, Paris montait de 1,55%, Francfort de 1,93% et Londres de 1,39%. À la Bourse de Tokyo, l’indice Nikkei, qui avait déjà bondi de près de 6% sur l’ensemble de la semaine dernière, a clôturé en hausse de 2,12%. Les places chinoises enregistraient aussi des gains solides. L’élection de Biden rassure et fait espérer une plus grande coopération internationale.

L’analyse financière réclame un postulat de base : ne jamais surréagir à un événement ponctuel. Au lendemain d’une élection à fort enjeu national ou international, d’une annonce relative au développement d’un vaccin miracle, ou encore d’une énième déclaration de banque centrale, il apparaît toujours très tentant de s’emballer dans les commentaires comme dans les décisions d’investissement. La peur de rater quelque chose (syndrome FOMO), les excès d’euphorie ou de pessimisme, nous empêchent de nous replacer dans le temps long, seule perspective susceptible de nous faire agir avec sens.

Du seul point de vue de la mécanique politique américaine, il est impératif d’attendre : nous n’avons pas toutes les données à l’heure actuelle. Nous savons d’ores et déjà que l’administration Biden devra composer avec un Congrès divisé. Certes, le President-elect jouit d’une expérience incontestable des responsabilités publiques qui l’a amené à bâtir une solide culture du compromis. Elle sera indispensable dans le cadre d’un Congrès probablement fracturé entre une Chambre des Représentants démocrate et un Sénat républicain ; de quoi doucher les ambitions du camp Biden pour un plan de relance massif vecteur de nouvelles dépenses publiques. En outre, la Cour Suprême dont la composition a été révisée par la désignation de trois nouveaux juges conservateurs désignés par Donald Trump, aura un impact non négligeable et imprévisible sur la stratégie législative de l’autorité fédérale. En même temps, c’est la prévision d’un rapport de forces équilibré sur le plan institutionnel qui génère en partie l’embelli des marchés : ceux-ci anticipent une politique très modérée de la part de Joe Biden.

Last but not least, le positionnement de l’actuel locataire de la Maison Blanche au sujet de la validité des élections et de la période de transition censée s’ouvrir, est source d’interrogations et d’incertitudes : quoiqu’il advienne, cette posture a d’ores et déjà une incidence hasardeuse sur la société américaine.

« Greener, faster, stronger ? »

Joe Biden en a fait un symbole : sa première mesure sera de réintégrer l’Accord de Paris sur le climat. Durant sa campagne électorale, il a promis un « plan de relance verte » de 2.000 milliards de dollars. Si elle s’impose, cette politique aura un effet d’entraînement positif sur les flux ISR à l’échelle mondiale. En effet, les Etats-Unis accusaient jusqu’alors un retard par rapport à l’Europe dans ce secteur. Les flux déjà très importants devraient donc très probablement continuer d’accélérer.

À l’inverse, certains observateurs accueillent froidement le retour des Etats-Unis dans le cercle de coopération stable et durable issu de l’Accord de Paris. Le revirement américain signifierait qu’au gré des alternances politiques, il serait possible pour un Etat partie prenante d’aller et venir, érodant une solidarité internationale durement obtenue et encore fébrile. D’aucun souligne également la répugnance bien connue des dirigeants américains face à tout mécanisme international coercitif. Aussi peut-on douter de la capacité structurelle et de la légitimité de l’autorité fédérale pour engager et planifier un programme de transition environnementale audacieux.

… Que tout change pour que rien ne change.

Biden ou pas, la gestion du coronavirus, les politiques monétaires ultra accommodantes et l’explosion des dettes mondiales restent des points d’attention majeurs. Ce sont du moins les conditions actuellement indépassables pour les marchés occidentaux. L’Asie est effectivement moins dépendante de ces trois préoccupations. La sempiternelle glose sur le « monde d’après » masque l’accélération peut-être décisive d’un basculement de la masse des capitaux vers les places asiatiques.

Biden se confronte à une société qui, comme dans tous les pays dits développés, souffre d’un émiettement croissant. Comment rassembler dans un contexte d’apogée des inégalités, de crise sanitaire et de politiques monétaires et fiscales qui favorisent les détenteurs d’actifs ? Dans quelle mesure la galaxie financière, connectée à des principes de justice sociale (lien Medium : La finance et la justice sociale), peut-elle soutenir le « S » de l’ESG ? Durant la campagne électorale aux Etats-Unis, les stratégies de targeting des réseaux sociaux et la partialité complète des médias ont témoigné de l’existence de deux mondes (chacun constitué de plusieurs sous-ensembles) qui ne se parlent plus, ne se comprennent plus et sont dans l’impossibilité de se mettre d’accord sur un socle commun. Trump aura imprimé sa marque : les « faits alternatifs » peuvent facilement se subsumer à la réalité pour emporter l’adhésion de millions d’américains qui pensent que l’élection a été volée. C’est un symptôme du malaise de nos sociétés.

Il s’agirait surtout pour les Européens de ne pas pêcher par naïveté. La doctrine du « America First » ne date pas de Trump. Le style sera moins agressif, la coopération meilleure (en apparence) mais l’administration américaine va naturellement travailler pour les intérêts américains. Ces intérêts ne sont pas toujours compatibles avec nos intérêts européens ou français de surcroit1. Ne claironnons pas si rapidement le retour du multilatéralisme ! La course entre les Etats-Unis et la Chine pour assoir une hégémonie mondiale est durablement enracinée.

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  1. Frédéric Pierucci, Matthieu Aron, Le Piège américain, JC Latès, 2019

Ali Laïdi, Le Droit, nouvelle arme de guerre économique — Comment les Etats-Unis déstabilisent les entreprises européennes, Actes Sud, 2020

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