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Allemagne, une puissance en trompe-l'œil ?

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Bastien COLET
REGARD FINANCIER SUR LE MONDE
3 min
28/02/2024
Allemagne, une puissance en trompe-l'œil ?

Début février 2023, l’Allemagne monte sur le podium des trois économies mondiales les plus performantes (PIB nominal). Ce titre a été rendu possible grâce à deux facteurs :

  • L’inflation qui a gonflé le PIB nominal de l’Allemagne : 4 500 milliards de dollars en 2023 contre 4 200 milliards de dollars pour le Japon.
  • Le décrochage du yen qui a impacté lourdement l’économie nippone exportatrice.

Toutefois, en données réelles (ajustées de l’inflation et des variations saisonnières), l’économie japonaise a progressé de + 1,9 % l’année dernière (1 % en 2022) tandis que l’économie allemande s’est contractée de 0,3 %.

La victoire symbolique de l’Allemagne est donc rapidement rattrapée par des performances en demi-teinte et un contexte morose. L’institut économique IW, Commerzbank et la Deutsche Bank prévoient un recul du PIB jusqu’à 0,5 % en 2024. D’autres experts tablent sur une croissance de 0,5 % à 0,9 %. L’OCDE et le FMI sont plus confiants en annonçant une croissance de 0,6 % et 0,9 % respectivement.

Les difficultés de l’économie allemande s’expliquent d’abord par le repli de la demande intérieure et du pouvoir d’achat à cause de l’inflation et de la hausse des prix de l'énergie. Bien conscientes de cette réalité, les autorités allemandes ont mis en place plusieurs plans de soutien en faveur des ménages. Le 4 septembre 2022, le gouvernement fédéral débloquait une enveloppe de 65 milliards d’euros (2.6 points de PIB) qui venait s’ajouter à deux précédents plans de soutien à la consommation intérieure.

Les résultats de cette politique sont contrastés et n’ont pu empêcher, en 2023, une nouvelle baisse de la consommation des ménages de 0,8 %. Il y a pourtant urgence à soutenir les revenus des consommateurs rongés par une inflation qui remonte à 3,7% en décembre 2023.

Installé au chevet des ménages, le gouvernement cherche également à empêcher une dépression durable de l’investissement des entreprises allemandes. Le climat des affaires exprimé par l’indice IFO est effectivement récessif. Après avoir connu une baisse historique en 2022 (de 101 en juin 2021 à 84,4 en septembre 2022), cet indice a connu une courte amélioration en 2023 (93,4 en avril 2023) avant de chuter à 85,5 en février 2024. De fait, le niveau de PIB actuel est à peine supérieur à celui de l'avant-COVID. Depuis la sortie de crise sanitaire, le taux de chômage n’a cessé d’augmenter avant de se stabiliser en janvier 2024 autour de 5,8%

Indice IFO - Climat des affaires en Allemagne. Source . Investing.com

Cette situation s’explique d’abord par la grande dépendance de l’industrie outre-Rhin à ses approvisionnements énergétiques ; amplifiée par l’abandon du nucléaire à marche forcée. Le recours au gaz russe bon marché était la solution de facilité idoine mais cette stratégie s’est effondrée après le déclenchement de la guerre en Ukraine.

De manière plus structurelle, l’Allemagne semble aujourd’hui atteindre les limites de son modèle de croissance. L'économie allemande est de plus en plus une plateforme d’échanges de biens et de services plutôt qu’un espace de production : c’est “l'économie de bazar”, popularisée par H-W Sinn, le président de l’institut IFO (Munich). Cette analyse pointe le mirage des excédents extérieurs allemands souvent appréhendés avec envie par les autres pays européens. Ainsi, les investissements dans la chaîne de valeur des entreprises allemandes tendent à se polariser excessivement vers l'aval et à délaisser l’amont en recourant à des intrants (inputs) importés. “Le Made in Germany se mue de plus en plus souvent en un Designed, assembled and sold in Germany. (R. Lallement, Le système productif allemand à l’épreuve de « l’économie de bazar », 2006). Ce risque d’une économie exportatrice en trompe l'œil semble se confirmer.

En outre, le recours massif à l’outsourcing et à la filialisation en direction des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) se heurte désormais à l’augmentation des coûts de production des pays dans les PECO, à l’augmentation des prix de l’énergie et aux politiques mises en œuvre oeuvres par des gouvernements tentés par le repli nationaliste.

Par ailleurs, la première économie européenne doit faire face au tarissement de ses débouchés à l’international ; il est surtout question de la fermeture du marché russe et de l’atonie de l’économie chinoise, attendue en tant que relais de croissance. Or, les exportations constituent la moitié du PIB allemand.

Cette conjonction de facteurs converge vers un décrochage de l’industrie manufacturière allemande dont la production est passée de 100 (indice de référence en volume calculé pour janvier 2019) à moins de 90 en janvier 2024. Dans un tel contexte, l’appareil productif américain se pose en concurrent impitoyable : la pression appliquée par le coût de l’énergie entre les Etats-Unis et l’Europe se mesure dans un rapport de 1 à 3. L’Inflation Reduction Act creuse encore l’écart : des subventions et avantages fiscaux sont accordés aux acteurs économiques américains sous condition de production locale et/ou de contenu local des biens utilisés dans leur production. Cette compétition défavorable à l’Allemagne s’illustre notamment dans l'industrie automobile : face aux constructeurs américains, asiatiques mais aussi européens qui ont pris de l’avance en matière de motorisation électrique, les entreprises allemandes perdent des parts de marchés. L’industrie chinoise se positionne en particulier de manière agressive dans les BRICS en implantant des unités de production qui promettent l'acquisition future de grands bassins de consommateurs. Des difficultés sont également perceptibles dans tous les secteurs piliers de l’économie allemande comme la chimie ou la métallurgie. Elles impactent tout l’écosystème de PME-ETI menacé par des délocalisations en chaîne.

La morosité des performances du moteur économique de l’Europe se transforme désormais en colère, comme en témoigne les ras-le-bol de secteurs relativement silencieux comme l’agriculture ou la restauration. Les restaurateurs allemands se plaignent d’une hausse de la TVA qui rend incertain l’avenir de 15.000 établissements. A quelques mois des élections européennes et d’élections régionales dans plusieurs Landers, le parti d’extrême-droite AFD est crédité de plus de 20% d’intentions de vote. Parallèlement, l’exécutif allemand n’a jamais été aussi impopulaire, sur fond de désindustrialisation, de malaise social ou d’effritement de la culture de l’accueil. Plus spectaculaire encore dans un pays qui a été l’artisan du marché commun et le premier bénéficiaire de l’euro, la défiance à l’égard des institutions européennes ne fait que croître. Certains observateurs prédisent pour l’Allemagne une période tendue du point de vue de la gouvernance politique et du dialogue social ; Berlin connaît à retardement ce que Paris vit finalement depuis bientôt six ou sept ans. Vieillissement de la population. Invité de Davos, le ministre des finances allemand Christian Lindner se voulait rassurant : “L’Allemagne n’est pas un homme malade, l’Allemagne est un homme fatigué après une courte nuit. Il nous faut une bonne tasse de café c’est-à-dire faire des réformes structurelles.”

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