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La finance peut-elle servir la justice sociale ?

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EPARGNE DIGITAL
8 min
20/07/2020
La finance peut-elle servir la justice sociale ?
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« Les richesses n’ont d’utilité qu’autant qu’on prend plaisir à les répandre; tout le reste n’est qu’une vaine opinion et qu’un plaisir idéal. Où se trouve beaucoup d’opulence se trouvent aussi beaucoup de gens qui en profitent. Quel avantage, au fond, procure-t-elle à celui qui en est le possesseur ? Tout au plus celui de voir tout ce gaspillage, le simple plaisir des yeux. »

En 1625, dans ses Essais de moral et de politique1, le philosophe britannique Francis Bacon formulait un principe éthique en forme de sagesse antique. La véritable utilité de la richesse consiste dans le partage. L’authentique valeur de l’argent tient dans une redistribution juste et proportionnée. Un constat préliminaire sur nos sociétés actuelles doit être posé : d’un côté, engourdissement des Etats, précarisation et émiettement du corps social, pouvoirs publics impuissants face à une économie globale irriguée par des marchés autorégulés ; sur l’autre rive, un réveil généralisé des consciences dans le sillage des récentes crises sociales et sanitaire. Ne prenons pas l’avertissement de Bacon comme simple parole d’autorité : quatre siècles plus tard, nous partageons la même condition humaine. Pour autant, sa réflexion sonne comme un témoignage qui peut nous éclairer, nous aider à mieux appréhender cette époque singulière.

La réalité d’une société fragmentée

« Depuis les années 1970, les inégalités sont fortement reparties à la hausse dans les pays riches, notamment aux Etats-Unis, où la concentration des revenus a retrouvé dans les années 2000–2010 –voire légèrement dépassé- le niveau record des années 1910–1920 ». Comme le démontre Thomas Piketty dans Le Capital au XXIe siècle, nos sociétés post-industrielles sont travaillées par des inégalités croissantes que la crise financière de 2008–2009 a rendu saillantes. Si quantitativement en France, la pauvreté reste relativement stable (environ 8,9 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté en 2017 d’après les calculs de l’INSEE en fonction de critères par nature imparfaits rapportés au revenu médian), elle reste un phénomène multipolaire qui s’exprime au travers de conditions de vie précarisées. Ce sont les factures d’énergie qui occupent une part de plus en plus lourde dans le budget des ménages, le remboursement difficile d’un crédit immobilier et/ou à la consommation, ou encore des impôts acquittés en retard.

Pour accéder à un ensemble de biens devenus indispensables tels qu’un téléphone portable ou une connexion internet (handicap sérieux pour la recherche d’emploi), le consommateur fait des arbitrages désastreux. Ce sont enfin les 5 à 6 millions d’exclus bancaires qui peuvent se retrouver non seulement dans une stricte situation d’exclusion, mais aussi dans des contextes plus diffus de disqualification ou de domination bancaire quand ils subissent des conditions d’accès et d’utilisation des produits bancaires inappropriées, entraînant pour eux des surcoûts.

Parallèlement, la peur du déclassement n’a jamais été aussi prégnante. Après la parenthèse exceptionnelle des Trente Glorieuses, nos modèles politiques ne sont pas parvenus à remotiver les mécanismes de mobilité sociale (insertion professionnelle des jeunes, dette des ménages…), à la peine depuis les années 1970. Aujourd’hui, les trajectoires de mobilité sont de faible amplitude : sept enfants d’ouvriers sur dix demeurent cantonnés à des emplois d’exécution quand sept enfants de cadres sur dix exercent un emploi d’encadrement2 A des inégalités intergénérationnelles qui soulignent des différences, se superposent désormais des inégalités intragénérationnelles qui consacrent des oppositions. Dans la première situation, il est possible de dégager des compromis, dans l’autre, on ne peut aboutir qu’à des arbitrages qui impliqueront nécessairement des perdants et des ressentis non traités.

La crise des Gilets Jaunes et la polarisation du champ politique sont finalement le reflet de profondes tensions sociales et territoriales, amplifiées dernièrement par la crise du COVID-19. Ces crises sont autant d’écueils pour nos sociétés démocratiques. Elles témoignent de nos limites.

Misères de la justice sociale en 2020.

La Déclaration de Philadelphie qui refonde l’Organisation Internationale du Travail, était porteuse d’une promesse féconde. Rédigée en 1944, alors que se profile le dénouement de la Seconde Guerre mondiale, elle proclame qu’« une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale », et de continuer : « La pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour tous »3. Faisant écho aux atrocités qui accompagnèrent le conflit mondial, cette dernière maxime restaure un idéal de justice enraciné dans l’histoire de la démocratie : Solon, le grand réformateur de la démocratie athénienne, ne prévenait-il pas qu’en démocratie, la souffrance de chacun doit être l’affaire de tous ?

Il est établi que les valeurs qui ont prévalu à l’édification d’un Etat social agissant tel un justicier soucieux d’attribuer à chacun ce qui lui est dû conformément à un idéal d’équité, apparaissent déprimées depuis plusieurs décennies. Désormais, la personne doit maximiser son utilité. Le législateur doit inscrire dans la norme l’autosuffisance des droits individuels. Le politique doit encadrer une justice redistributive assimilée à une contrainte qui s’abattrait violemment sur les individus. La justice sociale est cernée de toute part : elle est au mieux une aspiration sentimentale, au pire un « mirage »4. Elle devient une illusion, croyance selon laquelle il serait possible d’appliquer l’idée de justice à un ordre social dont personne ne peut être tenu pour responsable. Au fonds, dans cette perspective évolutionniste des sociétés humaines, la répartition des positions de chaque personne s’imposerait de fait puisqu’elle résulte d’un ordre spontané : le Marché.

En face de cette pensée, il existe un autre regard davantage attentif à l’idée de contrat. En effet, il faut a priori faire confiance à la pensée, aux capacités de réflexion des hommes et à leur puissance créatrice. Les êtres humains ne sont pas des monades qui contractent et calculent de manière isolée dans un monde qui s’impose à eux, mais des êtres rationnels et mutuellement désintéressés. Ils sont capables de se réunir pour définir ensemble les fondements d’une société plus juste et inspirer la réforme de l’ordre social existant5.

Il faut dès maintenant interroger de nouvelles voies d’émancipation individuelle seules à même de restaurer la philadelphía : l’« amour fraternel » qui garantissait chez les Grecs la paix, la cohésion et l’unité en mettant à distance les divisions et les inimitiés. Il est donc temps d’imaginer de nouveaux modèles pour répondre à la calcification et à la désagrégation de l’Etat moderne et de ses services publics.

A notre place, nous proposons de miser sur la transformation des métiers de l’argent au terme de laquelle chaque opérateur assumera sa place en favorisant l’émergence d’une finance restaurative.

Une solution : plaidoyer pour une finance populaire et citoyenne.

Chez ActiveSeed, nous ne concevons pas la solution financière comme une marchandise, mais comme un service. Il conviendrait de ne pas perdre de vue que le marché reste originellement une construction humaine au service de l’homme et de ses aspirations. Les défenseurs forcenés de la liberté affectionnent des logiques qui loin de mettre en œuvre cet idéal, nous apparaissent au contraire liberticides. Elles produisent des masses de « vies empêchées » retenues prisonnières dans la nasse d’une infrastructure bancaire et financière opaque et inadaptée6. Elles enlèvent à l’homme ses rêves et sa capacité d’action.

Nous pensons que la crise économique et financière qui se présente devant nous n’est pas l’acte ultime d’une tragédie irrémédiable renaissant tous les dix ans. C’est au contraire une opportunité exceptionnelle qui nous remet toutes et tous en question et nous invite à faire des choix en cohérence avec nos aspirations.

Nous devons prendre la mesure des limites de nos modèles économiques et sociaux. Ils reposent sur une vision trop parcellaire des individus. La financiarisation des économies a accentué ce reflet glaçant, ignorant la pluralité des dimensions qui composent la condition humaine. Ainsi, plutôt que tous ces larmoiements et ces contritions pour sauver ce qui tient encore debout, revoyons la copie. On se tromperait à vouloir sauver un modèle en particulier, il faut avant tout sauver le lien social. On se tromperait à dénoncer jour et nuit la violence intrinsèque du marché : c’est la société et ses modes de régulation, qui sont devenus violents. Toute solution qui consacre une forme de dérèglement ou d’injustice, introduit une once de violence qui tôt ou tard germera et apportera à son tour son lot de violences.

L’avenir appartient à une épargne populaire, agile et citoyenne qui soit l’instrument d’un message simple : « Agissez en cohérence avec ce à quoi vous aspirez. » ActiveSeed est le résultat d’une réaction face au creusement d’un décalage : d’un côté, l’argent que j’ai, de l’autre, ce que les institutions financières vont en faire.

Est-il possible de reprendre la main ?

Depuis plusieurs années, nous avons développé des outils qui offrent des garanties à l’épargnant. Nous lui donnons la possibilité d’évaluer son rapport à l’argent et au risque et de planifier, sur la base d’un conseil humain et indépendant, ses choix d’investissement à la lumière d’une approche thématique et pédagogique. Le développement technique a pour effet d’apporter progressivement une granulation très précise de l’orientation de l’investissement. Par exemple, grâce à des ETF on va pouvoir choisir de plus en plus de thématiques spécifiques telles que les énergies vertes ou l’eau.

Aussi, nous sommes engagés pour démocratiser cette liberté offerte à l’épargnant, afin qu’elle ne soit pas réservée à un public d’avertis. L’accès à la plateforme ActiveSeed est disponible dès 1000 euros d’investissement. Cette dernière perspective est fondamentale : elle sème les graines d’une nouvelle société. Nous sommes convaincus que les changements viendront d’une épargne populaire et de choix d’investissement formulés par des citoyens actifs. Si la masse des petits épargnants oriente son épargne vers des thématiques telles que l’investissement socialement responsable (ISR) plutôt que des secteurs prédateurs, alors, les investissements à l’échelle mondiale se trouveront progressivement teintés. « A ma toute petite mesure, je participe à un changement global. »

Enfin, cette remise à plat du rapport des épargnants aux circuits financiers permet déjà de requalifier la notion de performance vers davantage de durabilité. Si les investissements s’orientent vers des sociétés qui manquent aujourd’hui de moyens mais qui poursuivent une juste cause, alors on donnera des ressources pour que ces entreprises soient demain les acteurs de la performance. Ce qui compte n’est pas le rendement de la performance, sa quantification à un instant T, mais la qualité de cette performance dans une perspective durable. Cette conception renouvelée de la performance financière se mesure dans le cadre d’une circulation des flux d’argent solides et fiables, confiée à des opérateurs soucieux de proposer des offres collaboratives où chacun (banquier, assureur, conseiller en investissement financier) joue son rôle. Cette exigence sera l’occasion de sortir finalement des conflits d’intérêt par la réintroduction d’une saine concurrence.

Le temps est donc venu de remettre la Finance au service de projets individuels, au profit des individus et de leur émancipation, mais aussi d’un véritable contrat de société. Nous avons besoin de retrouver du sens et de restaurer l’art de la mesure, entre le « trop » et le « pas assez ». L’épargne populaire et citoyenne, que nous concevons comme la combinaison d’outils digitaux et de conseil humain durable, est le fondement d’une finance restaurative. Celle-ci offre des outils puissants pour remotiver les mécanismes de mobilité sociale. Elle représente plus globalement une énergie incontournable pour reconstruire des sociétés à la fois attentives aux aspirations individuelles et productrices de lien social. La Finance comme reflet de choix d’épargne démocratisés et durables, devrait fournir les ressources nécessaires à un nouvel équilibre économique attentif à une juste répartition des richesses. Les activités financières reprennent pleinement leur rôle d’activité dérivée de l’économie et non une industrie qui se suffit à elle-même. Ainsi, gardons en vue le témoignage de Francis Bacon :

« l’argent, comme le fumier, ne fructifie que si on prend soin de le répandre ».

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  1. Francis Bacon, Essais de moral et de politique, Chapitre 34 « Des richesses », 1625
  2. Camille Peugny, Le Destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale, Seuil, coll. « La république des idées », 2013, 111 p.
  3. Alain Supiot, L’esprit de Philadelphie. La Justice sociale face au marché total, Seuil, 2010, p.46
  4. Friedrich Hayek, Droit, législation et liberté vol. 2 : le mirage de la justice sociale, Puf, 1981, p. 81.
  5. John Rawls, A Theory of Justice, Harvard University Press, 1971, 560p.
  6. Paul de Leusse, After Banking, Débats publics, Chapitres V et VIII, 2019.
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